Le conte, symbole de la psyché humaine

 

 

Conte, conté, à conter

Es-tu véridique ?

Pour les bambins qui sébattent au clair de lune, mon conte est une histoire fantastique.

Pour les fileuses de coton pendant les longues nuits de la saison froide, mon récit est un passe temps délectable.

Pour les mentons velus et les talons rugueux,

Cest une véritable révélation.

Je suis à la fois futile, utile et instructeur.

Déroule le donc pour nous

 

Préambule traditionnel du conte Kaïdara (8)

 

 

De tous temps, des histoires nous ont écontées. Héritage d’une longue tradition orale manifestant la vitalide l’âme humaine, ce n’est que cemment, pour la plupart, qu’ils ont été transcrits. Des générations dHommes ont tissé leurs penes rêveuses, leurs imaginaires féconds pour venir nourrir le terreau fertile de l’Humanité, riche d’un enseignement ou d’une morale transmise à leurs prochains.

 

Pourquoi des histoires, si anciennes qu’on pourrait les croire stes, inadaptées à notre époque, nous parlent- elles encore autant ?

 

Un modèle récurrent

 

Chaque recoin de la planète a son lot de contes traditionnels. Il est curieux de constater la ressemblance de certains contes collectés sur des continents parfois très éloignés. Ainsi nous retrouvons la structure de notre Cendrillon dans un manuscrit chinois vieux de trois mille ans ainsi qu’à l’époque antique et me jusque dans les traditions arindiennes (1) .

 

Les mythes et les gendes permettent de trouver un modèle de base à la psyché et un contenu culturel au travers de récits sacrés ou de faits réels romancés. Dans les contes, il y a moins de matériel culturel conscient lié à un heritage de civilisations car ils naissent avant tout de l’imaginaire, ce qui les rend plus universels. Marie- Louise Von Franz (1982) souligne que les contes sont l’expression la plus pure et la plus simple des processus collectifs inconscients. Hans Dieckmann (1986) suggère que les contes décrivent nos complexes primaires mais aussi la manière avec laquelle nous apprenons à nous comporter en relation avec eux.

Il est vraisemblable que la racine de l’esprit humain explique ces ressemblances frappantes. Chaque culture a éconfrontée à des probmatiques similaires : l’initiation du jeune à l’état d’adulte, la lutte entre le bien et le mal… Carl Gustav Jung, psychiatre suisse du XXeme siècle, appellera ce socle dimages psychiques symboliques commun à tous, les « Archétypes ».

L’universaliet la profondeur symbolique des contes leurs permettent d’être lus, relus, racontés maintes et

maintes fois, à nimporte quel âge. Les contes ont à nous apprendre à toutes les étapes de notre vie. Ils

dépeignent le tableau de nos processus évolutifs.

 

Les contes représentent un panel d’observations de nos comportements, de nos aspirations les plus profondes, de leurs obstacles mais aussi des solutions et une morale implicite – Peau dâne nous renseigne sur une relation re/fille saine et Barbe Bleue apprend aux jeunes filles à se fier des hommes - Létude du conte est donc éclairante pour le psychologue mais aussi pour chaque personne qui s’intéresse à son propre veloppement personnel, ce qui permet a chaque histoire de sinscrire dans une dimension pérenne de l’imaginaire humain.

 

Un conte : une initiation

 

Beaucoup de ces récits, par laventure quils mettent en scène, évoquent un parcours initiatique s’adressant  aux jeunes en quêtes de devenir.

 

Ainsi lhistoire du petit Chaperon rouge peut avoir ce rôle. Celui-ci, face au Loup représente un duel entre la candeur de l’enfance et l’Animaliqui met en exergue linstinct et la pulsion. La grand-re se fait vorer par ce Loup. Le petit Chaperon rouge ne tarde pas lui aussi à être appâpar ces vils stratagèmes puis voré à son tour, jusqu'à ce que le chasseur symbolisant lhomme qui lutte contre l’Animal vienne délivrer les femmes prises au piège (2).  “Ce n’est donc pas seulement la grand-re qui est fantasmatiquement faite loup, mais la petite

fille elle-même, durant ces minutes tendues, devient quelque chose en rupture avec la famille et avec la distinction humain/animal” (3).


Sur le tme de labandon nous retrouvons le petit Poucet ainsi qu’Hansel et Gretel qui représentent aussi deux parties d’une seule et me personne, masculin et féminin qui, abandonnés par leurs parents ne pouvant plus les nourrir ; c'est-à-dire leur apporter de quoi se velopper, grandir et évoluer, sont livrés à leur propre sort. Nous retrouvons là aussi linitiation, lapprentissage de l’autonomie au travers d’une autre dimension que la

sphère parentale. Nos deux jeunes ros se retrouvent face à cette belle maison en sucre (pain, pain d’épices et bonbons selon les versions), rêve de la douceur enfantine qui se révèle être en réalil’antre d’une sorcre nécrophage. Elle mange l’humain, ce qui fait de nous des Hommes, possible allégorie dun passage à l’âge adulte, d’une insertion sociale. Les enfants qui, après cette épreuve nen sont peut être déjà plus, trouvent un

joyau et rentrent chez eux où ils apprennent que leur belle-mère instigatrice de ce cruel abandon est cédée. Ils se seront lirés dune fausse image maternelle et de son emprise.

 

En Kreiz Breizh

 

Toute personne qui aura séjourné en Bretagne aura sans doute fait attention à l’ambiance si particulre qui s’en

dégage. Chaque lieu, forêt, lande, marais ou rocher peut être rattaché à un conte ou une légende.

Dans de nombreuses histoires bretonnes, nous retrouvons nos fameux « korrigans » du breton korr, « nain », suivi du diminutif-ig et du suffixe-an, pluriel breton : korriganed, qui signifie « petit nain ». Les Korrigans sont en

réalité un nom gérique donné à une multitude de petites créatures se distinguant par leurs types d’habitats(4).

Cousins des nains et autres lutins de la tradition nordique, germanique et celtique, ils sont les représentants du

« petit peuple » tantôt  d'une extrême générosité à celui qui saura s’en montrer digne, tantôt capable d'horribles vengeances. Ils se manifestent souvent devant une personne seule, égarée près des landes, des alignements ou

à la lisre d’une forêt.

 

Une autre figure populaire, majeure du folklore et du conte breton est indéniablement celle de l’Ankou « obererour ar maro » en basse Bretagne ou encore  « Garrig an Ankou », le "chariot des morts" révélant lobsession que la mort a toujours suscitée chez les bretons, selon Daniel Giraudon (5). En effet, l’omniprésence de la mort, si fréquente au quotidien par le passé, pousse les mentalités bretonnes à personnifier l’image de leur incompréhension. Véritable serviteur de la mort, il est une figure psychopompe que l’on retrouve aussi en Cornouailles anglaise ou au Pays -de-Galles. On retrouve sa trace en Bretagne dès le IX ème siècle dans des gloses en latin. Si vous êtes attentifs, vous apercevrez peut-être l’une de ces créatures fantastiques près du Yeun Elez.

 

Dans un même registre tout aussi maléfique, nous pouvons retrouver, notamment au travers des écrits de Jacques Cambry, dès le XVIIIème siècle, la présence des fameuses lavandières ou autres dames blanches apparaissant la nuit.

« Les laveuses ar cannerez nos, les chanteuses des nuits qui vous invitent à tordre leurs linges, qui vous cassent le bras si vous les aidez de mauvaise grâce, qui vous noient si vous les refusez, qui vous portent à la charité». Héritre des mythes celtiques repris par le christianisme, limage de la lavandière spectrale représente l’aspect

moral dune activité très prenante pour la femme avant le milieu du XXème siècle. Cest le symbole de la mauvaise gardienne du foyer, de la mauvaise re condame à la corvée du linge pour léternité.

 

Les images innées

 

La  présence de la magie nous montre souvent la force cachée de notre volonté. Les ensorcellements mettent en avant nos attachements et nos dépendances. Les animaux féeriques, les nies familiers (arc'houereen en breton), et les vieux sages sont nos capacités salvatrices. Les dragons et autres monstres symbolisent les obstacles de nos vroses incarnant aussi la partie ténébreuse de nos sombres instincts.

 

Concernant les indications de lieux, il est rare de voir des contes qui ne traversent pas de forêts. La forêt est l’incarnation de la nature sauvage souvent l’espace de l’épreuve et de laventure d’un individu confronaux forces nocturnes. Elle représente l’enjeu d’une épreuve funeste ou initiatique selon les cas. Elle peut-être aussi le lieu de rencontre avec soi-même, avec ses propres peurs. Dans tous les cas, la forêt est un terrain éprouvant, un lieu de transition vers un autre état-(6).

 

Rappelons toutefois qu’un symbole est loin d’être immuable et qu’il est souvent lié à un contexte historique culturel et psychique. En effet, le sens varie sensiblement ou plus drastiquement, selon les problématiques de l’époque à laquelle nous nous trouvons. Lapparente intemporalité de lanalyse n’est donc qu’illusoire et il faut garder à lesprit qu’il refte avant tout un état psychique cristallisé dans une culture donnée.

 

Le but ultime que nous proposent les contes correspond à ce que l’on pourrait nommer « lindividuation »(8), cette réalisation de la totalipsychique, union de deux principes opposés comme par exemple le masculin et le

féminin, l’ombre et la lumre ou encore le bien et le mal. Les images s’y trouvant viennent nourrir notre imaginaire, notre psychisme en nous permettant de nous projetter dans l’histoire et d’ainsi vivre les émotions et les problématiques des protagonistes pour ainsi trouver la force de cheminer à la rencontre de sa propre

aventure.


Le conte se présente comme un récit pédagogique et cest pourquoi il finit bien dans la plupart des cas, pour le héros. Il est comme un modèle de comportements proposés pour réussir une entreprise délicate : vivre(8).

 

Loïs Le Tuault

 

 

Pour en apprendre plus sur le sujet :

 

Calrissa Pinkola Estes, Femmes qui courent avec les loups, grasset, Paris

Marie Louise von Franz, différents livres aux éditions de la fontaine de Pierre, Paris Marie-Claire Dolghin Loyer, les contes une école de sagesse, editions Devry, Paris Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fée, editions Robert Laffont, Paris, 1976

 

1.Sous la cendre : figures de Cendrillon, anthologie établie et postfacée par Nicole Belmont et

Élisabeth Lemirre, Paris, José Corti, « Merveilleux », 2007.

2. Le chasseur nexiste pas dans les versions anrieures à celle des frères Grimm et le conte était

bien plus horrible avec une fin beaucoup moins heureuse selon jack Zippes, 1993.

3. Citation de Péju P. La Petite Fille dans la Forêt des Contes. (p.80) Paris: Editions Laffont, 1981.

4. Anne Martineau, « La grande tribu des lutins », dans Le nain et le chevalier: Essai sur les nains français du moyen âge, (p.84) Presses Paris Sorbonne, coll. « Traditions et croyances », 2003.

5. Anatole Le Braz, Légende de la mort chez les Bretons armoricains.

6. Bettelheim Bruno, 1999, Psychanalyse des contes de fées, Paris : Pocket.

8. Marie-Claire Dolghin Loyer, les contes une école de sagesse, editions Devry, Paris

 

Note :

 

 

7. Selon Carl Gustav Jung, l’Individuation est la prise de conscience de lindividualité profonde faisant partie de la maturité de l’individu. Cest le Principe de dépassement du Principium Individuationis de Schopenhauer ou encore le fameux « Γνθι σεαυτόν » , « connais-toi toi-même » gravé sur le temple de Delphes. Cette notion renvoie à la réalisation du « soi » en psychologie. Cest un concept important en Psychologie Analytique.