Devenir Responsable

 

Le rêveur a 30 ans, il est d’origine urbaine mais préfère la campagne et s’est installé en milieu rural.

C’est quelqu’un d’assez créatif qui voit sa vie comme une succession d’énigmes à résoudre et qui se désintéresse rapidement d’un sujet dès lors qu’il en a fait le tour.

 

Cela ne contribue pas à sa stabilité amoureuse.

Dès qu’il pense avoir découvert tous les secrets qu’une compagne peut héberger, il s’ennuie et rêve d’en rencontrer une autre pour le plaisir de se frotter à d’autres mystères !

 

Professionnellement, c’est la même chose, tout l’intéresse mais rien ne parvient à le fixer.

 

Les évènements qui ont induit ce rêve sont justement liés à son inconstance professionnelle.

 

Tout est parti d’un bon sentiment,

 

Il a commencé à s’intéresser aux problèmes des agriculteurs locaux qui travaillaient beaucoup et ne tiraient que de petits revenus de leur travail.

 

Pour faire rapide, disons qu’il les a convaincus de consacrer quelques parcelles à une culture moins traditionnelle, à savoir le seigle, qu’il s’est chargé de le commercialiser.

Il s’est occupé du transport et de tous les aspects pratiques comme un parfait petit agent commercial et la petite entreprise a été une vraie réussite qui a satisfait tout le monde.

 

 

 

Dès l’année d’après, certains agriculteurs ont consacrés de plus grandes parcelles au seigle, d’autres ont carrément vendu leur cheptel pour ne faire que du seigle, en fait les producteurs se sont enthousiasmés pour cette idée et pour la manière dont elle avait été organisée…

 

Sauf que de son côté, notre rêveur, lui, il n’était plus du tout excité par la production agricole et se penchait déjà sur d’autres défis sans se préoccuper du fait que ses amis agriculteurs comptaient sur lui pour être leur agent.

 

Il les a laissé produire, s’enthousiasmer et espérer, sans jamais leur dire explicitement qu’ils devraient se débrouiller par eux même.

 

Cette carence de communication a conduit à un malentendu terrible.

 

Ce n’est que quelques jours avant la récolte que les agriculteurs ont pris conscience que rien n’avait été prévu pour la vente de leur production.

 

Le rêveur a disparu de la circulation, il restait cloîtré chez lui.

Les agriculteurs ont bien fini par contacter les minotiers mais nous sommes sur un secteur où les céréales sont vendues des mois avant la récolte, les minotiers avaient déjà couvert leurs besoins et n’étaient pas du tout intéressé par le seigle des agriculteurs.

Devant leur insistance, les minotiers ont quand même acheté le seigle, mais très en dessous du prix normal puisqu’ils n’en avaient pas besoin.

 

 

La conséquence économique a été catastrophique, les agriculteurs sont devenus fous furieux envers ce jeune homme et quasiment tout le village a décidé de lui faire payer physiquement son inconséquence et il n’a eu que le temps de s’enfuir en moto en laissant tout derrière lui.

 

Il faut savoir que lorsque j’ai recueilli son rêve, ce jeune homme avait déménagé, il était en sécurité et ne recevait plus aucune menace de mort.

Cet épisode de sa vie était maintenant derrière lui, même si nous allons voir qu’il le hantait encore.

 

 

Voici ce rêve.

 

J’étais dans la cours de la coopérative.

Dans le fond, il y avait l’épouse de mon ami qui travaillait pour une autre société que la coop, elle n’avait pas l' air de m' en vouloir. Mon ami arriva. Lui au contraire fut transfiguré en me voyant, comme s' il faisait face à un démon malfaisant qu' il fallait détruire. J’étais triste de sa réaction, je tentais de lui expliquer que les choses n' étaient pas ce que tout le monde croyait, mais il restait imperméable à tout ce que je disais.

 

Bientôt tout le village était là avec la volonté déterminée de me lyncher. Parmi la foule en colère se trouvaient deux des fils d' un autre ami associé dans ma société.

 

Je me jetais à l' eau dans un canal pour fuir les villageois, et ceux-ci embarquèrent dans une péniche. Le pont de la péniche était noir de monde, ils étaient tous là !

 

Je nageais, et la péniche essayait de m’écraser la tête contre les parois du canal. Soudain le canal fit un coude, je me trouvais dans l’angle intérieur du coude et la péniche fonçait sur moi sans que je puisse m’échapper ni même esquiver la charge. Je résolus donc de m’opposer à la péniche par la force. D’un bras je m' appuyais à la paroi du canal, de l' autre je repoussais la péniche; après quoi je me hissais hors du canal et plongeais dans un autre qui n' avait aucune jonction avec le précédent. Les deux fils de mon ami me suivirent. L’idée que je n' étais finalement peut être pas coupable s' infiltrait dans leur esprit.

 

 

Il se retrouve dans la cour de la coopérative

Le rêve ramène ce jeune homme au cœur de l’action.

Il y a l’épouse de son ami qui n’a pas l’air de lui en vouloir et son ami qui lui, le voit comme un diable et ne veut rien entendre.

Une fois replongé dans l’action, il regarde en lui-même et voit deux choses.

Son ami et la femme de son ami sont deux aspects de lui-même qui réfléchissent de manière différente, ces deux personnages représentent la division et la contradiction qui le minent.

Selon l’angle de la féminité qui le voit encore comme un enfant et le protège, il n’est pas coupable, il ne faisait que suivre l’inclinaison de sa nature et cherchait innocemment à s’épanouir…

Selon l’angle de la masculinité, qui le voit déjà comme un adulte et le juge, il a été irresponsable, inconséquent et il se déteste de l’avoir été.

Il se juge mal et ne se pardonne pas ce qu’il a fait.

 

Bientôt tout le village était là avec la volonté déterminée de me lyncher. Parmi la foule en colère se trouvaient deux des fils d’un autre ami associé dans ma société.

Nous sommes ici dans une reconstitution du réel, les villageois avaient vraiment l’intention de s’en prendre à lui physiquement, il était réellement en danger, mais ici, le rêve introduit un élément qui n’était pas flagrant au moment des faits, ce sont les deux enfants.

Cela veut dire que malgré l’apparence de danger imminent, son devenir, ici les enfants, est préservé.

En même temps que la situation dangereuse se déroule, la promesse d’un futur l’accompagne.

Il comprend au cours de cette partie du rêve qu’il n’est pas dans l’épreuve finale de sa vie, mais juste dans une des épreuves de sa vie et qu’il reste maître de son destin, indépendamment des intentions de la foule.

La foule voulait l’éliminer, mais la vie, elle, voulait qu’il poursuive son chemin.

 

Je me jetais à l’eau dans un canal pour fuir les villageois, et ceux-ci embarquèrent dans une péniche. Le pont de la péniche était noir de monde, ils étaient tous là !

Nous ne sommes plus dans la réalité concrète mais dans les eaux intérieures de la réalité psychique, d’où l’image du canal.

Dans cette réalité, les agriculteurs continuent à méditer collectivement leur vengeance et poursuivent le jeune homme, ce qui le hante et l’angoisse.

 

Tant que le rêveur fuit la confrontation, c’est-à-dire que tant que son immaturité lui laisse croire qu’il peut trouver le salut dans la fuite, il est en danger, la pensée vengeresse ne rencontre aucune contradiction, elle se persuade de son bon droit et cherche à écraser les arguments non manifestés du rêveur parce que les agriculteurs aussi veulent en finir avec cette histoire, d’une façon ou d’une autre.

 

Et la péniche fonçait sur moi sans que je puisse m’échapper ni même esquiver la charge. Je résolus donc de m’opposer à la péniche par la force.

 

Ici, le jeune homme immature accepte l’épreuve et fait face, il exprime sa vérité, il exprime ses arguments, il révèle aux autres et à lui-même qui il est.

Comprenons bien qu’il ne se justifie pas mais qu’il se révèle, il donne du relief à sa personnalité, il se l’approprie et par le fait il interdit au collectif de prendre ses aises avec sa personne, il interdit au collectif de décréter qu’il serait à vie l’agent des agriculteurs ou le fils obéissant de ses parents !

Il devient ainsi un homme qui manifeste son indépendance et son autonomie.

 

Après quoi je me hissais hors du canal et plongeais dans un autre qui n’avait aucune jonction avec le précédent.

L’acceptation de la confrontation crée du destin, du devenir, c’est-à-dire que maintenant un autre canal apparait dans le paysage, des possibilités nouvelles qu’il ne voyait pas jusqu’alors s’offrent à lui, il s’agit des eaux intérieures de son cheminement individuel.

Le rêveur est désormais capable de naviguer sur deux types de canaux sans que ceux-ci ne se mélangent et ne se troublent l’un l’autre, nous parlons du cheminement collectif désormais apaisé, celui de la famille et de la société, ET de celui du cheminement personnel, celui de l’indépendance et de l’individuation.

 

Les deux fils de mon ami me suivirent. L’idée que je n’étais finalement peut être pas coupable s’infiltrait dans leur esprit.

Son devenir l’accompagne, il ne culpabilise plus et se pardonne d’avoir été ce qu’il a été et que du reste tout le monde a été, à savoir une personne jeune qui avait besoin de se révéler en tant qu’adulte au travers d’une épreuve initiatique.