Introduction :

Le point de départ de notre travail est un exercice de construction de phrases qui a été proposé à un groupe de détenus par leur professeur de français.

 

Il s’agissait pour eux de développer sur un mode court, l’idée ou la sensation qu’ils associaient à une suite de mots.

Au nombre de dix, ces mots étaient les suivants : " Ame", "Autrement", "Caractère", "Chez", "Confier", "Histoire", "Naturel", "Penchant", "Transport", "Songe".

 

La tournure d’ensemble développée par les participants nous a interpelés, dans la mesure où, malgré la disparité des personnalités et des tempéraments, il y avait dans ces associations, une musicalité de portée universelle, que nous avons pu interpréter comme étant la réflexion que chaque individu peut avoir sur lui-même lorsqu’il se trouve en situation de privation de liberté.  

 

Les associations sont multiples et diverses, mais le processus de réflexion sur soi est unique ;
il dépend d’une structure psychique inhérente à la nature humaine et totalement indépendante de l’âge, de l’instruction, de la culture, du genre, de la religion, du mode de vie, et même encore de l’époque en laquelle vit l’individu.

 

Tous les ingrédients étaient alors réunis pour que nous puissions nous emparer de ce sujet de façon à l’évaluer sous un angle analytique.

 

Pour bien saisir, justement, la portée analytique du présent essai, il convient de rappeler quelques conséquences psychiques du contexte carcéral.

 

La première est que lorsque la privation de liberté va de pair avec un système de règles incontournables telles que celles proposées par les maisons d’arrêt, elle est interprétée, sur le plan inconscient, comme un retour direct dans le monde infantile.[1]

 

Chez beaucoup d’individus, la raison résiste à cette puissante aspiration régressive, même si pour y parvenir, le psychisme doit déployer diverses stratégies d’adaptation à la condition de détenu.

Mais même comme cela, même chez les personnalités les mieux adaptatives et les tempéraments les plus trempés, il existe nécessairement, ne serait-ce qu’à l’état de trace, une entame, un point de fragilité et de tension inhérente à une confrontation perdue.

 

En effet, à un certain degré, l’incarcération est vécue par le détenu comme un rapport de force dont il est ressorti vaincu, d’où cette entame, ce point de fragilité ou de tension qui est le plus souvent très bien caché et toujours nié si on interroge l’individu à ce sujet. 

 

Il n’est pas possible d’identifier d’une façon générale vis-à-vis de qui ce sentiment inconscient de rapport de force perdu peut être ressenti, dans la mesure où selon l’historique de chacun, il peut d’agir d’une personne, d’un groupe de personne, d’une corporation, d’un système…etc.


Par contre, ce principe même du sentiment de rapport de force perdu, induit par l’incarcération, peut être retenu comme étant incontournable, universel et objectivement vécu.

 

Mais, nous avons aussi à faire à des personnalités chez qui la raison peut ne pas résister ou mal résister.

 

L’individu s’installe alors dans un processus régressif des plus aliénants qui peut le rendre dépendant à tous ceux qui incarnent la loi de la maison d’arrêt, ou plus largement à tous ceux qui incarnent une loi quelconque, légitime ou pas, comme la loi du plus fort par exemple.

 

Entre les deux, entre une raison qui résiste et une raison qui s’affaisse, nous observons toute une palette de moyens termes dont les tendances s’étalent d’une borne à l’autre, et qui même, plus subtilement, ne sont pas nécessairement fixes, et peuvent se positionner assez différemment selon l’humeur du jour et selon les interlocuteurs croisés par le sujet.

 

Nous observons aussi que ce sont les personnes les plus typées en mode résistance ou les plus typés en mode régressifs qui sont les plus constantes dans leur attitude et les moins sensibles aux variations liées à leur environnement.   

Il nous faut enfin préciser que notre travail ne s’intéresse qu’à la façon dont se détermine l’individu par rapport aux règles légales. [2]
Les règles et codes informels concernant les détenus entre eux ou concernant les rapports entre les détenus et certains personnels ne nous sont pas méconnus, mais elles ne présentent pas d’intérêt pour le développement de notre sujet.   



[1] Il existe toutefois des populations de détenus à la psychologie particulière qui restent totalement insensible à l’aspect régressif des conditions de détentions, nous évoquerons plus précisément ces profils particuliers dans nos conclusions.

[2] Lorsque nous parlons d’administration pénitentiaire, ce qui est légal ne correspond pas toujours nécessairement à ce qui pourrait paraitre juste ou pertinent sur un plan psychique. Ici, légal ne veut pas forcément dire "bien", "juste" ou "vrai", cela veut simplement dire "officiel et valide selon la loi"    

 

 Plan:

Les phrases des détenus:    

Premier Chapitre: