Même si le langage de l’inconscient est de nature universelle, puisque structuré par des principes immuables et toujours en mouvement, la façon dont chacun d’entre nous est touché par son expression est spécifique à son identité et à sa sensibilité.

 

Un des livres d'Yves Bocher témoigne de l’aventure personnelle que fut son installation en tant que psychothérapeute.

 

Le début de son livre nous informe, justement, selon quel angle et quelle sensibilité il est touché, lui, par le langage du rêve et comment, lui, l’aborde.

 

C’est cet extrait que nous avons choisi de présenter ici.

  

 

Problème d’interprétation. ( Extrait )

  

Depuis toujours, le rêve est considéré comme une parole ayant du sens.

Dans un lointain passé, il était raconté à la tribu et ce qu’il disait était pris en compte pour les décisions de la vie de tous les jours, que ce soit pour la cohésion de la tribu ou dans l’organisation de la chasse.

Bien plus tard, dans notre tradition, on discutait pour savoir s’il venait de Dieu ou du Diable.

 

Dans les contes, les mythes et les légendes, on voit apparaître, de temps en temps, des êtres capables de décrypter le sens des images oniriques grâce à une faculté de voir au-delà du mouvement apparent.

Daniel, prophète de l’ancien testament, interpréta magistralement le songe de Nabuchodonosor ; il sut mettre le rêve de la statue aux pieds d’argile en relation avec la réalité du pouvoir royal.

Dans ce texte Daniel devait non seulement interpréter le songe, mais aussi le deviner sans que le roi lui en eût parlé.

On ne comprend le rêve que si on en possède déjà la trame au-dedans de soi, c’est-à-dire qu’on ne l’éclaire que s’il nous a déjà éclairé.

 

Dès l’origine la plus lointaine, le rêve exprimait aux yeux des êtres un mouvement qu’il était important de comprendre. La pensée analytique mit cet intérêt au centre de sa démarche.

Freud ne disait-il pas que le rêve est la voie royale qui mène à l’inconscient ?

Toute la vie de Jung semble tourner autour des images intérieures. Il en fût un témoin émerveillé et génial.

 

Si le rêve est si important, c’est qu’il traduit le plus intime de l’être, il n’est pas prisonnier du cadre moral et social.

Il exprime la nature telle qu’elle se déroule au-dedans. Se pencher sur son sens revient à vivre et à approcher davantage son identité. C’est une façon somme toute naturelle de renouer avec soi même.

 

On peut se poser beaucoup de questions sur le rêve : d’où vient-il ?

Peut-on réellement s’appuyer sur lui ? Est-il porteur de sens ?

 

L’important est dans le rêve lui-même. Lorsqu’on le vit, on a l’impression d’une réalité qu’on ne mettrait jamais en doute, à tel point que certains vont jusqu’à dire qu’on est éveillé en dormant et endormi réveillé. C’est vrai qu’on peut très bien imaginer une fiction ou le rêve serait notre réalité et le réel le rêve.

 

Une femme était venue me voir avec un rêve très significatif qui parlait justement du rêve.

Il disait : « Les rêves sont des êtres ensoleillés qui cherchent le contact ». C’est la meilleure définition que j’ai jamais entendue et elle peut se suffire à elle-même tant la présentation en est simple et complète.

 

Ce qu’il est important de noter tout d’abord, c’est cette notion du contact, car le rêve ne se suffit pas à lui-même ; s’il insiste tant chaque nuit, c’est pour que nous portions un regard sur lui, que nous l’accueillions comme nous accueillons un ami venu nous rendre visite. Les rêves cherchent le contact à la seule fin de nous éveiller à leur réalité.

 

Ce sont des êtres ensoleillés, eux qui sortent de l’ombre, de notre nuit. 

« Ensoleillé » signifie ce qui est touché par le soleil, éclairé, en quelque sorte. Ils sont porteurs d’un sens. Les écouter permet souvent d’éclairer dans le même temps notre existence, d’où la nécessité d’une interprétation. Ils répondent donc à un besoin très précis que certaines traditions ont imagé en disant qu’un rêve non interprété est comme une lettre que l’on reçoit et que l’on n’ouvre pas.

 

Interpréter un rêve, c’est le mettre à la portée d’une histoire personnelle, c’est une manière de le faire toucher davantage à notre réalité, et surtout c’est très souvent entendre un point de vue qui ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur. On a l’habitude généralement de penser selon des normes admises par tous, à tel point qu’on peut avoir l’impression quelquefois d’un monde bâti comme un bloc ou la réalité de l’un peut ressembler à celle de l’autre. On pense communément selon des normes précises véhiculées par un monde médiatisé à l’excès.

 

Si on commence par écouter ses rêves, on s’aperçoit qu’il existe au fond de chacun une voix originale qui veut se faire entendre et qui se manifeste par l’intermédiaire des êtres mentionnés dans le rêve de cette femme.

Si le monde est peuplé de l’extérieur, on nous dit ici qu’à l’intérieur, il y a aussi des êtres et, de plus, intéressés par notre histoire. Que veut dire cet intérêt ? Une simple image ou au contraire une nécessité absolue de la psyché à toucher le rivage de la conscience humaine ? Lorsque j’écris sur le rêve, j’ai l’impression de le faire sous la poussée de ces êtres. Je suis en quelque sorte un témoin parmi tant d’autres de ce qui, de l’intérieur, cherche à se manifester à nous. Cette nécessité est d’autant plus grande que le monde extérieur semble aller vers une négation du sens, poussé vers les préoccupations économiques, politiques et sociales, mais coupé de la réalité psychique qui est d’une certaine manière son origine.

 

Retrouver cette profondeur, c’est donner à la vie une saveur autre, c’est répondre de la façon la plus juste possible à cette invitation intérieure.