Tableau de vie :

  

La rêveuse est une quinquagénaire francophone qui habite dans une grande ville d’Amérique du nord, nous l’appellerons Claire.

Avec son mari Marius, ils ont une fille de 14 ans qui vit avec eux.

Claire exprime un vif sentiment de déception et de morosité par rapport à sa vie de couple.

Elle s’en trouve d’autant plus déprimée que son mari Marius, lui, se trouve très content de son sort et parfaitement heureux tels qu’ils vivent.

Parallèlement à cela, Claire vient de subir l’épreuve d’un licenciement, l’entreprise où elle travaillait comme analyste de données a fermé pour raisons économiques.

 

Claire a trois sœurs, elle est la plus jeune d’entre elles.

  

Elle a perdu sa mère alors qu’elle était préadolescente et a vécu avec un père frustre et passablement violent qui s’est remarié un peu plus tard avec une femme qui a été pour Claire quelqu’un d’incolore, d’inodore et sans saveur.

 

 

Lorsque nous disons passablement violent pour son père, c’est que dans sa prime enfance il l’a copieusement été, autant par les gestes que par les mots mais ce sont les deux sœurs les plus âgées de Claire qui ont subi l’impact tandis qu’elle était plutôt épargnée, même si elle entendait tout et voyait tout.

  

Voici ce qu’elle dit de son mari :

 

Ce qui m'a attiré chez Marius? Il n'était pas marié!!! Il était calme et semblait serein...un mur, une épaule, la chaleur, le confort...et l'intelligence avec toutes ses possibilités.

 

Mais en vieillissant je trouve qu'il me fait penser à Papa; la chasse et la pêche semble être les deux seules choses qui l'amusent...Heureusement, il donne plus d'affection que lui, à sa fille.

 

Rêve :

 

J'ai rêvé quelque chose d'étrange dernièrement, j'avais un jeune amant, que j'avais laissé partir parce qu'il voulait avoir des enfants et que moi je me sentais trop vieille. Cependant j'ai accouché d'un enfant (pas de lui) et il est venu me voir à l'hôpital avec sa nouvelle conjointe et il a pris mon enfant dans ses bras, a touché le visage de l'enfant avec sa joue puis m'a regardé et a mimé avec les lèvres, mais sans le dire tout haut, "je t'aime".  La copine était à côté de lui et ne disait mot. J'ai souri à mon ancien amant et je me suis retournée vers sa nouvelle copine et je lui ai dit "tu es chanceuse, il va faire un bon père pour vos enfants".

  

Voici les associations libres qu’elle donne pour ce rêve :

  

Je sens que l'enfant en moi se libère, d'une certaine façon, peut-être du joug des KERMABON!!! et de papa en particulier. Mais je crois aussi que maman a sa part de responsabilité dans le sens où je n'ai pas eu d'elle ce que mes sœurs ont eu. Elle était malade et puis elle est morte et je n'ai pas senti que je comptais pour quelqu'un, j'ai manqué d'attention et j'ai manqué d'amour et cette enfant qui manque de confiance en elle, je la traîne et la pousse en même temps depuis toujours. Et je commence tout juste à sentir que je vaux la peine qu'on s'occupe de moi et qu'on m'aime!

  

Décryptage :

 

Il va de soi que nous sommes résolument ici dans le figuratif et que ni l’âge réel de la rêveuse ni l’époque où se déroule le rêve ne doivent être vus comme des valeurs objectives.

 

Nous sommes ici dans un lieu hors du temps où se joue de manière mythique, la grande trame de sa vie ( Le mot trame doit être entendu ici dans le sens théâtral du terme ).

 

Le jeune amant représente l’animus, l’archétype de l’homme intérieur, le moteur psychique qui inspire à la femme ses désirs de découverte et de réalisation, et aussi son intérêt envers les hommes « réels » en tant que partenaires potentiels, sans que le mot partenaire ne désigne exclusivement le champ sensuel (amitié, collègues de travail avec lesquels la mixité des genres confère une valeur ajoutée stimulante…etc. ) ; il est aussi le moteur psychique qui lui confère ses capacités à rationaliser, à raisonner, à organiser….etc.

  

Le fait qu’il soit jeune nous indique que cela correspond à une période de sa vie ou elle-même était jeune.

  

Être jeune et se sentir vieux est caractéristique des personnes dont l’enfance n’a été ni douce, ni joyeuse, ni innocente, mais qui au contraire ont été à minima exposées à des vociférations colériques vécues et ressenties comme des menaces quand nous ne parlons pas carrément de coups subis et d’humiliations diverses.

L’amant prend l’enfant dans ses bras et le touche de sa joue.

 

C’est un signe de reconnaissance et de douceur qui signifie que sous l’influence de l’instinct, Claire s’approprie ce qu’a été sa vie, elle se l’approprie dans le sens où elle s’autorise à porter un œil critique et à faire des remises en cause.

  

En d’autre termes, ce qu’elle pense et ressent, aujourd’hui ça compte et elle se donne les moyens d’exprimer et de faire valoir ce qui la motive ELLE, elle commence enfin à exister en tant que personne spéciale et distincte des autres et ne désire plus être un mouton dans le troupeau, insipide, ordinaire et inerte….

  

Il faut aussi ajouter que la douceur de l’animus envers l’enfant remplace une douceur masculine que Claire n’a pas eu dans son enfance, la douceur d’un Père.

 

L’animus est toujours amoureux, il le déclare, même en étant muet.

  

Cela signifie que le pouvoir érotisant de l’animus est toujours actif.

Le champ des possibles et des épanouissements est toujours un potentiel disponible pour Claire, même s’il ne l’exprime pour l’instant que discrètement.

 

Il ne le fait que discrètement parce que le temps a passé, parce que le mythe est moins fougueux que dans sa jeunesse, il est devenu sage ( en vrai le mythe est toujours le même mais c’est l’âge de la Claire d’aujourd’hui qui fait que le mythe n’est pas véhiculé dans la psyché par les mêmes hormones que celles de ses 20 ans ! ).

 

Cette sagesse intuitive sait que, même si Claire va mieux, elle n’est toujours pas prête à entendre dans sa pleine mesure toute la pétulance de la vie. Car par comparaison ce qu’elle a vécu pourrait lui sembler un trop gros gâchis et elle s’en trouverait attristée…

Elle est en voie d’en prendre conscience, mais pour l’heure, l’animus ne fait que suggérer, pour que Claire vienne à cette idée, d’elle-même, à son rythme.

  

Pour bien comprendre la suite et la fin du rêve, il convient de décrypter ce qui se cache derrière la figure de la copine de l’amant et que symbolise l’hôpital/maternité où se trouve Claire.

 

Claire est à l’hôpital/maternité, c’est-à-dire que le monde tourne et que la vie se déroule autour d’elle, tandis qu’elle reste immobile dans cette situation, comme si cette place lui avait été allouée d’éternité et qu’elle doive y rester figée pour l’éternité.

 

Cela signifie que la vie de Claire toute entière s’est centrée sur le statut de femme/mère que la société lui avait assignée et qu’elle y est restée bloquée.

 

Nous devons comprendre que le personnage de Claire, qui est scotchée à la maternité, est la part aliénée d’elle-même, tandis que la copine qui accompagne son amant c’est aussi elle. Mais elle, libre. Elle est la personne que Claire aurait pu être ET PEUT ENCORE ETRE si elle accepte de prendre le risque de la féminité qui est sienne, si elle accepte d’entendre ce que l’animus a à lui dire et si elle ose se lancer dans l’aventure.

 

Le personnage de la copine est inerte, il ne dit rien car il n’est pas encore incarné par Claire, il est encore la page blanche sur laquelle Claire va pouvoir écrire le livre de sa vie.

 

Il est question ici de bien intégrer le fait qu’une femme n’existe pas que pour être mère, et que le fait d’être femme, d’être amoureuse, n’exclut pas la maternité.

Aujourd’hui il est fondamental pour Claire de briser les codes sociaux qui l’ont formatée et d’entrer de plain-pied, de façon réjouie et conquérante dans la vraie vie.

 

Bien entendu, il s’agit d’une révolution culturelle au niveau de l’état d’esprit en rapport avec son âge.

Il ne s’agit en aucun cas d’essayer de devenir la pasionaria des soirées étudiantes !

  

Mais nous sommes convaincus que Claire a toute la sagesse qu’il faut pour bien comprendre ce point…..tout comme nous savons qu’elle a la sagesse qu’il faut…… pour ne plus rester trop sage, à commencer avec Marius !

 

 

Le jeune amant veut des enfants mais la rêveuse n’en veut pas parce qu’elle se sent trop vieille.

 

Cela signifie que malgré la toxicité de son environnement de jeunesse, le monde instinctif de Claire est resté intact et vivace, mais que par contre, psychologiquement, elle est touchée et ne se sent pas en phase avec ce foisonnement d’énergie qui se présente à elle.

Elle ne se sent pas la force de le porter en pleine conscience.

En un sens, elle démissionne d’elle-même parce qu’à ce stade, être soi est trop lourd.

  

Elle a eu malgré tout un enfant dont on ne connaît pas le père.

L’enfant représente le devenir qui a été le sien.

 

Le fait qu’il n’y ait pas de père distinct signifie en fait que le père est tout le monde.

Le terme « tout le monde » signifie  que le devenir de Claire a été le devenir que les autres ont voulu pour elle.

« Les autres », ce sont les instances collectives qui ont régies son monde à cette époque et qui l’ont envahies de tous leurs a priori et de tous leurs stéréotypes.

Nous parlons d’un devenir induit par son éducation, par la vision familiale sur le rôle des femmes, et aussi par la pression sociale ordinaire...

Ce devenir n’a pas été ce qu’il aurait dû être, à savoir la réalisation épanouissante de son potentiel sous l’inspiration de sa nature intime.

  

La scène suivante, avec l’animus qui lui rend visite à la maternité représente le retour de l’instinct refoulé.

 

Si j’avais à faire une analogie, je dirais que c’est un peu comme un avion qui rate son atterrissage puis qui reprend de la vitesse et de l’altitude pour recommencer une approche plus orthodoxe.

 

L’énergie de la sphère instinctive qui avait été refoulée à l’époque a donc raté son atterrissage, ou son incarnation, alors elle est repartie un temps dans l’oubli puis refait une apparition aujourd’hui pour proposer à nouveau ses services.

Autrement dit, Claire est aujourd’hui psychologiquement raffermie et disponible pour prendre sa vie à son compte.